Les Nouvelles Routes de la Soie ou OBOR
Les Nouvelles Routes de la Soie,
un chemin vers le nouveau modèle économique chinois
Les Nouvelles Routes de la Soie ou « One Belt, One Road » connu sous l’acronyme OBOR, font faire l’objet au cours des prochains mois de publications afin d’exprimer différents points de vue sur notre blog. Notre objectif est de faire connaître, d’analyser et de comprendre pour agir. Ce projet pharaonique chinois va impacter l’économie mondiale des prochaines années. Quelles seront les conséquences de ce nouvel ordre du monde pour la France et nos régions du Grand-Ouest ? Il ne nous est plus possible de rester au bord du chemin sans s’interroger et prendre les bonnes décisions. Dans le cadre du partenariat mis en place en août dernier autour de l’OBOR entre France Chine International et l’ IEP de Rennes, nous vous proposons une première synthèse.
#1 article par Benjamin Radeau, Sciences-Po Rennes
Au-delà de l’aspect international incontestable des Nouvelles Routes de la Soie, ce projet revêt des enjeux économiques et politiques intérieurs majeurs pour le pouvoir en place. Lorsqu’on évoque le projet des Nouvelles Routes de la Soie, les aspects géopolitiques sont très souvent mis en valeur par les commentateurs. De même pour les enjeux concernant l’économie mondiale, qui n’est pas sans lien avec le premier cité. Moins souvent sont analysés les enjeux du projet des Nouvelles Routes de la Soie pour l’économie et la politique intérieure de l’Empire du Milieu. Or, ces derniers sont peut-être la raison d’être du projet, plus encore que l’influence chinoise à l’international, élément important loin s’en faut, mais pas le seul à entrer en ligne de compte dans l’esprit des dirigeants chinois.
De la production à la consommation
Le premier de ces enjeux pour la Chine est celui de la mutation de l’économie vers un modèle proche de celui d’un pays développé, pour enfin atteindre ce statut qu’elle convoite. Des exportations en baisse, une croissance intérieure plus fainéante que les standards des dernières années alors que la situation n’est pas meilleure à l’échelle mondiale, ont conduit à un besoin persistant de transformer une économie dirigée par les investissements gouvernementaux en un modèle qui favorise la consommation de l’immense marché chinois et les 137 millions de personnes qui composent la classe moyenne du pays. Cela passera par une politique plus souple vis-à-vis des droits de douane sur les produits importés, réclamation historique des partenaires commerciaux de la Chine.
Un autre enjeu pour l’économie chinoise est celui de combattre les conséquences néfastes de son modèle actuel. Les piliers sur lesquels se sont basés la croissance chinoise depuis les réformes d’ouverture économique de Deng Xiaoping dans les années 80 (investissements étrangers, focus sur les industries lourdes et l’export), ont abouti a un sérieux problème de surcapacité dans bon nombre de secteurs, au point que 12 d’entre eux ont pris des mesures spécifiques afin de diminuer la production. Les secteurs de la sidérurgie ont par exemple accumulé des surcapacités sans précédent (450 millions de tonnes pour l’acier en 2014) que les plans d’urbanisation en cours dans le pays ne seront pas capables d’absorber.
Les Nouvelles Routes de la Soie,
des partenaires et des nouveaux marchés à développer
Mais ceux des autres pays d’Asie oui. D’où la solution d’exporter ces surplus. La Chine veut justement utiliser les Nouvelles Routes de la Soie pour vendre ses surproductions à l’étranger selon Nick Marro, un analyste à l’Economist Intelligence Unit (EIU). Les nouvelles infrastructures de transport ont pour but d’offrir de plus nombreux débouchés aux produits industriels chinois, ainsi que du travail pour les entreprises de construction et d’ingénierie, alors que le marché intérieur est déjà saturé.
Le but des Nouvelles Routes de la Soie est aussi d’améliorer l’accès de la Chine aux ressources énergétiques dont elle a besoin et d’exporter ces capacités avancées d’ingénierie et de construction ainsi que l’équipement et le matériel associés, capable de rivaliser avec le savoir-faire des pays occidentaux, le tout comme toujours pour un coût moindre que celui de la concurrence. Les gains espérés ne seront pas immédiats, il s’agit d’une stratégie qui porte ses fruits sur le très long terme. Mais cela sera compensé par un accroissement de la demande pour les biens de consommation et les services chinois dans les pays qui seront mieux intégrés dans le commerce mondial grâce aux infrastructures construites dans le cadre du projet des Nouvelles Routes de la Soie, notamment ferroviaires.
Ces pays sont les futurs consommateurs des produits chinois. Le projet doit ouvrir à la Chine de nouveaux marchés, protégeant aussi le pays de tout ralentissement économique en Europe ou aux États-Unis, déclare Jin-Yong Cai, ancien patron de l’International Finance Corporation. La Chine va utiliser son propre capital pour rendre les autres pays asiatiques plus riches et ainsi les populations deviendront clients des produits chinois, ajoute-t-il.
Cette augmentation de la demande extérieure passe par une participation chinoise active au rattrapage technologique des pays voisins, avec en modèle ce qu’ont pu faire les ingénieurs occidentaux et japonais, qui ont formé les ouvriers chinois eux-mêmes dans les années 90. La Chine peut aussi profiter du projet pour identifier des entreprises innovantes dans ces pays et les soutenir dans leur développement à travers des investissements. Les secteurs concernés sont par exemple, l’économie numérique, l’intelligence artificielle, les nanotechnologies et les énergies vertes.
Les Nouvelles Routes de la Soie,
à la conquête de l’Ouest
Les Nouvelles Routes de la Soie reflètent aussi la motivation d’ industrialiser les parties les plus rurales du pays, principalement à l’Ouest. Il faut souligner que le projet couvrait initialement les provinces occidentales du pays, notamment l’État du Xinjiang. L’idée est d’abord de compenser l’explosion des coûts sur les provinces costales, ce qui participera à maintenir la Chine comme étant compétitive à l’échelle mondiale. De plus, le transport maritime est plus coûteux depuis les régions intérieures du pays, ces provinces internes ont donc tout à gagner en développant le réseau ferré continental.
Mais la Chine veut aussi reproduire pour ses régions de l’Ouest le modèle qui a permis son développement depuis 50 ans : construire des infrastructures de base, notamment des transports pour assurer la croissance économique en facilitant échanges de marchandises, flux de capitaux et d’argent liquide. Appliquer ce modèle pour les provinces occidentales de la Chine passe par un principe de coopération régionale nouveau pour le régime communiste.
16 provinces sur 27 sont déjà concernées de près ou de loin par les projets des Nouvelles Routes de la Soie, et les restantes ont exprimé un grand souhait de participer. Pour ces régions intérieures, ces Routes sont une opportunité en or de rattraper les provinces côtières en terme de développement en établissant de meilleures connexions avec ces dernières. On peut considérer ce projet des Nouvelles Routes de la Soie comme une seconde ouverture économique de l’Empire du milieu après celle des réformes de Deng Xiaoping dans les années 80. Elle a énormément profité aux provinces de l’Est du pays. Ce sont maintenant aux provinces de l’Ouest d’en profiter.
Cela permettra de remplir le dernier enjeu inhérent à la Chine de ces Routes de la Soie, celui de combler les inégalités criantes entre ces fameuses provinces côtières de l’Est, mondialisées, riches et urbaines, et les provinces de l’Ouest, rurales, agraires et plus pauvres, se traduisant par des écarts de revenus gigantesques. Le projet des Nouvelles Routes de la Soie peut effacer ces disparités en connectant ces régions avec les pays asiatiques alentours, notamment ceux de l’ex-Union Soviétique et en transférant une partie des industries du pays dans ces régions, offrant alors à cet espace une position centrale alors qu’il occupe encore un rôle marginal dans l’économie du pays.
Les Nouvelles Routes de la Soie ou Garantir la prospérité pour garder la légitimité politique
Cette réorientation stratégique doit servir les impératifs des « objectifs du double centenaire », paliers de développement fixés par le Parti Communiste. Le premier, en 2021, doit achever la transformation de la Chine en « société modérément prospère », à l’occasion des 100 ans de la création du Parti. Cela implique de doubler le PIB et le PIB par habitant de 2010. Puis, en 2049, lorsqu’ils fêteront un siècle de régime communiste, les dirigeants de la République Populaire devront acter pour leur pays le statut de « nation socialiste prospère, forte, démocratique, culturellement avancé, harmonieuse et moderne »
Cet enjeu de la croissance économique est aussi politique pour le parti au pouvoir. En effet, la croissance économique élevée, parfois à 2 chiffres, était l’argument essentiel utilisé par le Parti pour légitimer son pouvoir. Ces chiffres sont désormais révolus. Or, l’un des moyens de gérer le ralentissement économique est de provoquer une hausse du chômage (1,2 million d’emplois détruits en 2016 et 2017). Le mécontentement social qui apparaîtrait peut être un danger pour l’hégémonie du Parti si cette nouvelle donne n’est pas gérée correctement au niveau de la communication. Xi Jinping a déjà commencé à habituer les Chinois à ce qu’il a appelé la « nouvelle normalité » de la croissance, plus faible mais aussi plus durable, notamment vis-à-vis de l’environnement. C’est le prix à payer pour construire ce nouveau modèle dont les Nouvelles Routes de la Soie sont un outil essentiel.
Contributeur texte : Benjamin Radeau,
Photo à la une : Carte de l’Asie Centrale. Carte de l’Asie centrale : dressée d’après les cartes levées par ordre de l’empereur Khian Loung par les missionnaires de Pe King […] / par M. J. Klaproth ; Auteur : Klaproth, Julius von (1783-1835). Cartographe ; Éditeur : L. Berthe (Paris) ;Date d’édition : 1836 ; Sujet : Divisions politiques et administratives : Sujet : Asie centrale — Divisions politiques et administratives – Droits : domaine public ; Identifiant : ark:/12148/btv1b53035426w ; Source : Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, Ge DL 1836-34 (1-4) ; Couverture : Asie centrale ; Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb405962366 ; Provenance : Bibliothèque nationale de France
Introduction FCI Intégration et SEO : Évelyne Ollivier-Lorphelin
Rédacteur en chef pour le blog de FCI : Évelyne Ollivier-Lorphelin, vice-présidente de France Chine International
Directeur de la publication : Yannick Morin, Président de France Chine International
Bibliographie
Et maintenant, l’autoroute de la soie par Sébastien Falletti dans Le Point
One Belt, One Road (OBOR): China’s regional integration initiative, par Gisela Grieger pour European Parliament Research Service’s briefing to the European Parliament
The limits of China’s Silk Road to Europe par Shang-su Wu sur thediplomat.com
Quand construire des routes revient à redessiner les alliances par Ming Pao sur courrierinternational.com
Les « Nouvelles Routes de la Soie » et l’innovation : une feuille de route sans projets ? par Alisée Pornet sur asialyst.com
China’s new silk route The long and winding road par Yeroen van der Leer et Joshua Lau pour PwC’s Growth Markets Centre.
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