Jingdezhen 景德镇 et la porcelaine
La porcelaine de Jingdezhen une des matières précieuses chinoises, en ce pays qui révéla aussi au monde la soie et le laque
Carnet de voyage d’Évelyne Ollivier et Jean-Pierre Lorphelin sur deux semaines après la mission d’une semaine à Shanghai « Art de Vivre à la Française – un chef étoilé breton en Chine« .
Novembre n’est pas la meilleure période pour visiter l’ancien pays Huizhou, qui aujourd’hui se répartit entre l’Anhui et une partie du Nord Jianxi. Ce jour-là, 26 novembre, depuis 3 jours l’hiver s’était abattu sur la Chine et dans la région, il y faisait froid. Nous étions passés de 20 °C à Shanghai le 21 novembre à 1°C à Tunxi la vieille ville près de Huangshan dans l’ Anhui. Jingdezhen était sur notre chemin à condition de prendre le bus qui lui aussi est une véritable expérience dans cette région. Nous avions admiré la semaine précédente, au musée des Beaux-arts de Shanghai, la magnifique collection de porcelaine et notamment celle de Jingdezhen avec ses évolutions sous les Ming et les Qing lorsqu’elle était à son apogée. Nous avions aussi entendu parler d’un village de jeunes artistes à Jingdezhen. La division du travail, l’emprise de l’académie de peinture impériale, le goût de l’archaïsme et les commandes occidentales avaient précipité le déclin de la céramique à Jingdezhen à la fin du XVIIIe siècle. Nous nous interrogions sur ce qu’il restait de la culture et des savoir-faire ancestraux et sur le renouveau de l’art de la porcelaine dans cette ville reculée mais connue de tous les amateurs d’art. Nous voulions voir si l’art contemporain y avait fait son entrée et comment les jeunes artistes s’exprimaient.
La porcelaine de Jindezhen 景德镇, une longue série d’inventions
Dans le domaine de la céramique, l’invention de la porcelaine en Chine au VIIe siècle fait suite à une longue série d’innovations. Plusieurs conditions doivent être réunies pour fabriquer des céramiques à la fois dures, blanches et translucides. La pâte doit être parfaitement pure, qu’il s’agisse de kaolin en Chine du Nord ou de pierre à porcelaine petuntse en Chine du Sud. À partir du XIVe siècle, afin d’améliorer la plasticité de la pâte, à Jingdezhen dans le Jiangxi actuel, situé alors dans le Huizhou, le kaolin fut aussi mélangé à la pierre à porcelaine dans des proportions toujours plus élevées. La température de cuisson doit atteindre 1 300 degrés au minimum.
Kaolin de la Chine du Nord et de pierre à porcelaine en Chine du Sud. Pièces circulaires (yuánqì 圆器)
Une division du travail encore très présente
L’organisation traditionnelle du travail de Jingdezhen remonte à la dynastie Yuan 元 (1271 – 1368) : les exportations, et la production en général, menèrent à la création d’une véritable industrie organisée et rationalisée. Elle n’était jusqu’à la dynastie Song 宋 (960 – 1279) qu’un artisanat rattaché aux activités agricoles. La particularité de cette industrie porcelainière était la division du travail, qui, depuis la dynastie mongole, ne cessa de se renforcer jusqu’aux dynasties Ming 明 (1368 – 1644) et Qing 清 (1644 – 1911). Aujourd’hui certains métiers ont disparu face à la mécanisation, notamment dans la préparation des argiles, avec l’aménagement d’une pièce chauffée dans laquelle sont entreposées les pièces crues et avec l’apparition de nouveaux fours à gaz automatisés, face aux fours à bois traditionnels qui n’ont pas survécu au progrès.
Sur le lieu d’implantation du » Pottery Workshop – International Residency « , nous observons une kyrielle de petites boutiques, le long d’une belle allée. Bon nombre d’entre-elles offrent une porcelaine de la vie quotidienne peu élaborée et quelques colifichets amusants à des prix très raisonnables. Quelques belles boutiques proposent des porcelaines de qualité mais reproduisent majoritairement le graphisme de la tradition des périodes Song, Ming et Qing avec principalement les bleus et blancs. Il faut chercher pour trouver quelque chose d’un peu plus contemporain. En revanche, un lieu d’exposition » the Mufei Gallery » montre de très belles pièces réalisées par les artistes en résidence.
Boutiques à Jingdezhen
Il convient de redéfinir la position d’artiste en Chine pour comprendre la situation à Jingdezhen. En Chine impériale, architecture, sculpture, céramique, bronze, laque ou orfèvrerie sont considérés comme œuvres d’artisans. Il existe une distinction entre les arts nobles (peinture, calligraphie…), animés par la seule quête spirituelle, apanage des « lettrés », et des arts de commande liés aux exigences du monde officiel ou de la vie quotidienne. À Jingdezhen, trois grands secteurs, portant chacun une appellation dominaient la fabrication depuis la dynastie Yuan 元 (1271 – 1368) : celui du façonnage des pièces, pīhù 坯户, celui des fours, shāo yáo 烧窑, et celui de la peinture d’émaux sur couverte, hóng diàn 红店. Des secteurs secondaires étaient spécialisés dans des domaines d’activités accessoires aux premiers.
Une division extrême du travail est encore une des caractéristiques de l’art de la porcelaine à Jingdezhen, de la préparation de la matière première, jusqu’à l’emballage, en déclinant chaque étape du processus, tour, peinture, engobe, four collectif…. Elle enlève bien souvent à l’artisan toute initiative personnelle et à l’art de la porcelaine toute possibilité de renouvellement.
tournassage, lì pī 利坯 et perfectionnement des contours au tour
applique d’une glaçure (shī yòu 施釉) transparente ou colorée par vaporisation (pèn yòu 喷釉), la couverte dans le cas de la porcelaine.
Jingdezhen – peinture
Quelques pépites émergent
Certains jeunes artistes et étudiants de l’Institut de Céramique de Jingdezhen (Jǐngdézhèn táocí xuéyuàn 景德镇陶瓷学院) tout proche tentent aujourd’hui de s’en affranchir. Tous les samedis matin, ils organisent un marché pour faire découvrir leurs créations. Quelques-unes sont prometteuses. Dans ce lieu, deux ou trois boutiques font exception. Dans l’une d’entre-elles, une agréable jeune femme nous présente les oeuvres de son frère, elle-même est en master Céramique à l’Institut de Jingdezhen. Sa boutique se détache des autres, des oeuvres aux lignes épurées, une porcelaine de qualité, des céladons qui s’imprègnent de la tradition notamment dans la gravure tout en la transposant, une peinture s’apparentant à de la calligraphie, des oeuvres qui montrent aussi l’appropriation des savoir-faire anciens avec l’usage des fěncǎi 粉彩 qui sont le type d’émaux polychromes sur couverte parmi les plus connus.
Jingdezhen 景德镇 attirent des artistes du monde entier
Si Jingdezhen ne peut plus être la capitale de la porcelaine en termes de quantités industrielles, quelques indices nous montrent qu’elle pourrait retrouver sa place de capitale de la porcelaine en Chine en termes de qualité et d’œuvres d’art. Jingdezhen jouit d’une telle réputation qu’elle attire les artistes céramistes du monde entier.
À midi, transis de froid, une jeune américaine élève de l’Institut de Céramique et exposante sur le marché, nous préconise d’aller au café tout proche » The Pottery Workshop Cafe « . Nous nous y rendons, et là surprise, dans cette région où les portes et fenêtres sont ouvertes en permanence, même au coeur de l’ hiver, un poêle diffuse doucement une chaleur réconfortante. Autour du poêle, divers fauteuils confortables offrent un point de rencontre et d’échanges. Deux jeunes femmes accueillantes nous proposent une carte avec différents thés de grande qualité. Ce lieu met à la disposition de ses clients des toilettes immaculées. Les jeunes étudiants du marché, viennent s’y restaurer et y travailler sur leurs ordinateurs. Nous y rencontrons une jeune artiste sud-africaine d’origine chinoise, sculpteur sur céramique. Elle partage avec nous son orange qu’elle a réchauffée sur le poêle. Elle est en fin de résidence à Jingdezhen dans ce lieu d’exposition où elle a loué un atelier pendant 3 mois. Elle nous montre sur son portable ses oeuvres. Magnifiques. Un peu plus tard, une femme artiste d’une quarantaine d’années, une suédoise, nous raconte son expérience de vie à Jingdezhen et nous échangeons sur les freins encore nombreux à l’émergence d’un art contemporain à Jingdezhen. Elle qui vient d’un pays où l’art du verrier a atteint ses lettres de noblesse notamment avec l’art contemporain, pense qu’un long chemin reste à parcourir ! Le lendemain dans le bus qui nous emmène à Wuyuan, nous rencontrons deux artistes américaines d’un certain âge qui semblent enchantées de leur séjour. Un embouteillage monstre dû à de simples travaux de voirie bloque la circulation depuis plus d’une demi-heure. La crainte de manquer leur train express à Wuyuan les empêche de parler de leur expérience. Je songe alors à nos actions d’échange avec les artistes peintres et céramistes bretons de notre association. Jingdezhen est une légende pour tous les amoureux de la porcelaine, une légende que beaucoup, souhaitent faire revivre et pourquoi pas dans l’échange avec notre belle porcelaine et céramique française.
Jingdezhen et les lieux d’achat de la porcelaine
Il existe à Jingdezhen d’autres lieux d’achat de la porcelaine et un lieu de visite intéressant dont le parc des anciens fours à la périphérie ouest de Jingdezhen Gǔ yáo mín sú bólǎn qū 古窑民俗博览区. Les boutiques de porcelaines se concentrent principalement dans le centre, dans la rue Lianshe nord 莲社北路 pour les porcelaines d’art et au Jingdezhen International Trading Plaza (Jǐngdézhèn guójì shāngmào guǎngchǎng 景德镇国际商贸广场), un grand marché de porcelaines, pour la vaisselle. Il existe également en centre-ville, près de la rue Lianshe nord 莲社北路 un quartier de boutiques-ateliers de peinture sur porcelaines (hóng diàn jiē 红店街, la rue de hóng diàn 红 店). Ces boutiques sont ouvertes dans des bâtiments modernes, qui ont recouvert une grande partie de la ville. D’importants bâtiments, ateliers, fours, résidences, temples et guildes, ont été démontés et reconstruits dans le parc des anciens fours populaires (Gǔ yáo mín sú bólǎn qū 古窑民俗博览区). .
Quelques repères en Images de la porcelaine de Jingdezhen au travers des siècles
Ci-dessous quelques porcelaines de Jingdezhen vues au musée des beaux-arts de Shanghai (non exhaustif).
Quelques points pratiques à Jingdezhen
Un déplacement en taxi réglementé du centre-ville au Pottery Workshop : 8 yuans environ.
En venant de Huangshan, de la gare de bus au centre ville à l’hôtel par un taxi individuel : 20 yuans
Le bus à partir de Huangshan vous conduit jusqu’à la gare de bus de Jingdezhen mais vous laisse dans un endroit un peu abandonné, où se précipitent les taxis individuels. Sortez de la gare et là les taxis verts vous attendent.
A préférer les taxis verts qui mettent en route leur compteur.
Hôtel propre à Jingdezhen, accueil agréable et petits-déjeuners chinois sympathiques.
Facilité d’échange si vous possédez un chinois basique, l’anglais fait le reste avec les étudiants qui eux aussi ont généralement un anglais basique.
Échanges internationaux aisés en anglais avec les autres nationalités présentes sur le site.
Nous avons eu l’opportunité de ramener quelques pièces, attention toutefois au poids lors de votre retour par avion. Penser à l’avance aux éléments de protection dans votre valise.
Le prix n’est pas toujours en relation avec la qualité des pièces, certains ateliers peuvent être très chers car favorisés par le relationnel. Prenez le temps d’explorer et fiez-vous à votre connaissance de la porcelaine, à votre goût et à vos envies.
Si vous voulez avoir une réelle approche de Jingdezhen, planifier au moins 4 à 5 jours sur place, voire un peu plus si vous voulez avoir le temps d’échanger et de prendre des contacts.
Contributeur texte : Évelyne Ollivier-Lorphelin
Photos à la Une et suivantes : Jean-Pierre Lorphelin
Intégration et SEO : Évelyne Ollivier-Lorphelin
Rédacteur en chef pour le blog de FCI : Évelyne Ollivier-Lorphelin, vice-présidente de France Chine International
Directeur de la publication : Yannick Morin, Président de France Chine International
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